
Cet article vous permettra de déconstruire le rapport entre le croyant et les paroles attribués au Prophète (sunna). Votre ami, enfant ou vous-même (si cela vous concerne directement,) en sortirez totalement immunisé contre les manipulations des « théologiens » et « gourous ».
Pour bien assimiler le contenu, un petit rappel de ce qui été présenté précédemment dans la rubrique « CHASSER LES RADICAUX » (CLR):
Résumé des articles précédents:
Dans CLR 1, nous avions vu le rapport des croyants à la réalité. Pour communiquer un message provenant de ses processus internes (ce qui se passe dans son mental) à ses semblables, l’homme utilise le langage verbal/non verbal ou écrit. Le message comportera une multitude de symboles et d’images forcément imprécis dans lesquels l’homme tentera d’exprimer sa pensée, de la vulgariser afin d’être compris par son interlocuteur.(…)
Lorsque nous communiquons avec autrui, le fond de notre pensée ne peut être exprimé entièrement (…). Ainsi, une partie synthétique sera condensée dans un code (langage humain) avant de passer par un canal de transmission qui nous permettra d’être entendu et suffisamment compris pour communiquer. Raison pour laquelle, lorsque nous parlons, nous utilisons une structure de phrase souvent incomplète.(…)
Nous avons ensuite questionné la pensée magique, le sens donnée aux « miracles » par le concept « Koun fayakoun » et des liens de causalité avec la pensée « radicale » dans la partie 2 de CLR.
Dans la troisième partie de CLR « lire le sacré sans tomber dans le fanatisme », nous avions développé les deux grandes approches cognitives du Texte Sacré, « Parole de Dieu » pour les musulmans. Et en démontrant comment l’approche littéraliste était en contradiction avec la définition divine que les croyants octroient aux textes sacrés.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ceux qui considèrent les textes sacrés comme un danger ont la même approche littérale des textes que les littéralistes. Sauf que, contrairement à eux, ils simplifient le texte sans pour autant affirmer en même temps qu’il s’agirait d’un texte émanant d’une Intelligence Supérieure. Ce qui les rend bien moins caricaturaux que les littéralistes.
Dans le courant de l’année 2010, le leader de la nébuleuse Sharia4Belgium, Fouad Belkacem, avait été invité à débattre sereinement avec Filip Dewinter (membre du parti d’extrême droite flamand, le Vlaamsbelang) sur la webchaine Gunktv. L’un considérant la religion islamique comme la cause des grandes crises, l’autre comme la solution. Et pourtant, ils seront tous les deux en accord avec la manière de lire le Coran. En (re)lisant l’article précédent cet accord de lecture entre ces deux mondes vous semblera d’une logique implacable.

LE PROPHETE JACQUES A DIT
Quel musulman ou non musulman intéressé (directement ou indirectement) par l’Islam n’a-t-il jamais entendu : « Le Prophète a dit(…) » ? Personne, bien entendu. Et pour cause, il est actuellement impossible dans la sphère musulmane de ne pas être ou avoir été conditionné à un moment donné par ce tampon institutionnel du « Prophète-a-dit » par des personnes … qui ne l’ont jamais entendu. Et qui bien entendu ne l’entendront jamais dans cette vie.
Pour comprendre ce dont nous allons parler, je vais vous poser une question quelque peu provocante : avez-vous connu le jeu « Jacques-a-dit » ? Il s’agit d’un jeu (destiné aux enfants) dans lequel on demande aux participants de reproduire la gestuelle et de répondre aux injonctions données par l’animateur du jeu à condition que celui-ci débute par la phrase « Jacques-a-dit ». Si vous répondez à sa demande sans que celui-ci n’ait cité ce mot magique, vous aurez perdu.
Imaginez que tout à coup durant le jeu, il se passe la chose suivante :
Animateur : – Jacques-a-dit de lever la main…
Tous les joueurs lèvent donc la main, à l’exception d’un seul. Nous l’appellerons « Narjisse ».
ANIMATEUR : tu as perdu Narjisse ! Tu n’as pas levé tes mains, et j’avais dit « Jacques-a-dit » !
NARJISSE : Oui, mais attends…Qui est Jacques ?
ANIMATEUR : Comment ça qui est Jacques ? Mais on s’en fiche de qui il est. La règle du jeu consiste à faire ce que je dis tant que j’ai cité son nom ! Si tu veux faire des recherches sur sa biographie, tu peux faire ça en dehors du jeu, sur internet !
NARJISSE : Ok, j’ai compris ! Il faut faire ce que Jacques-a-dit !
ANIMATEUR : Voilà, tu as tout compris ! Bon, on va recommencer la partie. Jacques-a-dit de mettre les mains sur la tête et de crier « ALLELUIA » !
Tous les joueurs mettent leurs mains sur la tête et crient Alleluia. A l’exception de NARJISSE.
ANIMATEUR : Tu es éliminée, NARJISSE ! Désolé, mais cette fois on ne recommencera pas la partie !
NARJISSE : Oui, mais attends… comment sait-on que Jacques a dit cela ?
ANIMATEUR : Parce que JE le dis ! C’est la règle !
NARJISSE : Oui, d’accord. Mais tu as dit tout à l’heure ne pas le connaître physiquement ce Jacques. Donc comment sommes-nous censés être certains qu’il l’ait dit. Et toi comment sais-tu toi-même qu’il a vraiment dit cela ?
ANIMATEUR : Il y a des règles qui ont été dictées par les maitres du jeu. Tu ne vas pas me réinventer les règles quand même ?!
NARJISSE : C’est Jacques qui a écrit les règles ? Était-il présent lorsque les maitres du jeu ont retranscrit ce qu’il est censé avoir dit ?
ANIMATEUR : Mais en quoi est-ce important pour toi de savoir cela ?
NARJISSE : Récemment, j’ai dit à des camarades de classe que je ne me rendrais pas aux prochains cours à l’école car je devais visiter une voisine atteinte d’une leucémie à l’hôpital avec ma mère.
ANIMATEUR : Et ?
NARJISSE : Ben ils ont dit aux professeurs que ma mère avait un cancer et que c’est pour ça que j’étais à l’hôpital ! Pourtant ils étaient avec moi quand je leur ai expliqué la raison de mon absence, mais ils n’ont pas bien compris sauf deux ou trois qui ont eu un doute et ont préféré se conformer aux quatre autres témoins ! Et du coup, on a reçu une lettre de toute la classe souhaitant un bon rétablissement à ma mère. Il y en a même un qui visiblement, ayant encore moins compris que le reste de la classe, a signé « Toutes mes condoléances ». Donc, je veux être sûr que Jacques a bien été compris quand les maîtres du jeu ont retranscrit ses paroles. Et pour cela, il faudrait au minimum qu’il puisse vérifier ce qu’on ait répété de lui, non ? Je suis désolé mais cette histoire de cancer m’a presque traumatisé. Je veux être sûr qu’on ne se trompe pas pour Jacques sinon on va lui porter préjudice !
ANIMATEUR : En fait toi tu ne veux pas qu’on joue à « Jacques-a-dit ». Parce que si on suit ta logique, ce n’est plus possible ! Sinon, qu’est-ce qu’on est censé faire pour continuer à jouer tout en laissant ta « conscience » tranquille ?
NARJISSE : On pourrait commencer par jouer en remplaçant « Jacques-a-dit » par « Jacques-aurait-dit ». Ce serait plus proche de la vérité, non ?
ANIMATEUR : L’utilisation du conditionnel ne fait pas partie de la règle du jeu. On ne va pas changer les règles parce que t’as un souci de conscience !
NARJISSE : Oui, mais alors Jacques ne va pas être content…
Et c’est ainsi que pour le bien de tous les participants, l’animateur n’a plus jamais réinvité NARJISSE à jouer à « Jacques-a-dit ».
Au risque de vous surprendre, je suis du même avis que l’animateur. Il n’est pas important de savoir qui est Jacques et s’il a vraiment dit ceci ou cela. La règle du jeu n’a pas été conçue pour répondre à ce type de questions. Cela ne ferait que transformer ce jeu d’action –réaction en débat interminable bien éloigné de l’objectif de départ.
L’objectif du « Prophète-a-dit »
Concernant la règle du « Prophète-a-dit » dans un prêche, un discours, que ce soit sur internet, dans une mosquée ou au coin d’une rue, la règle de base ne change pas. L’objectif de votre interlocuteur n’est pas de débattre sur les probabilités que le Prophète ait prononcé le message comme cela l’a été rapporté et qu’il ait bien été compris (selon le contexte et le sens originel) mais que vous acceptiez de répondre positivement à la recommandation qui suivra l’introduction «le Prophète-a-dit ».
Et ceci n’est pas un reproche ou une critique ! Il s’agit tout simplement d’un outil classique de persuasion visant à empêcher toute possibilité de remettre en question ou pour les plus softs, d’appuyer ce que vous demande/recommande l’émetteur du message. A l’heure des librairies d’internet et de l’accessibilité quasi instantané des ressources scripturaires censées relater le vécu du Prophète, cet outil n’est pas suffisant. Vous pouvez toujours tomber sur non pas une, mais des centaines de NARJISSE qui pourraient vous demander « Mais comment sait-on que le Prophète a dit cela ? ».
Les 3 clés pour renforcer la persuasion
Pour appuyer son autorité, l’émetteur du discours complètera la phrase « Le Prophète-a-dit » par 3 autres phrases-clés (la dernière n’étant pas indispensable, elle peut renforcer néanmoins la perception d’authenticité chez le destinataire :
- Selon/rapporté par X [NOM D’UNE PERSONNE FAISANT OFFICE DU DERNIER TEMOIN ISSU D’UNE LONGUE LISTE DE TRANSMETTEURS DE LA PAROLE (ATTRIBUEE AU PROPHETE) NON CITEE INTEGRALEMENT (DANS UNE LOCUTION VERBALE)].
- Et rapporté dans Y [NOM D’OUVRAGE RELATANT LE TEXTE, LA SOURCE, FAISANT FIGURE D’AUTORITÉ, ET POUR LA PLUPART DU TEMPS « SACRALISÉ »].
- Authentifié par Z [NOM D’UN THÉOLOGIEN CONTEMPORAIN (AYANT LE TITRE DE « SAVANT ») AFFIRMANT LA VERACITE DE LA PAROLE ATTRIBUEE AU PROPHETE PAR UNE METHODE DE RECHERCHE]
Ainsi les destinataires du message seront rassurés sur la véracité de ce qui est dit en sachant que « le prophète-a-dit » à sa source dans un référentiel, des recueils des paroles du Prophète (les hadiths) dans lequel ils trouveront une série de « le Prophète-a-dit » et de « le Prophète-a-fait ». Bref, un ensemble de comportements, de conseils et de recommandations attribués au Prophète. Il s’agit de ce qu’on nomme plus traditionnellement les traditions du Prophète, la sunna.
Dans l’article qui abordera les leviers psychologiques (très connus par les gourous et autres manipulateurs), nous verrons que le code vestimentaire et le style de langage sont deux outils très utilisés comme figure d’autorité pour installer un lien de confiance dans l’inconscient du public visé.
Lorsqu’une personne se rend à l’église pour écouter le prêche d’un pasteur, il n’y va pas dans l’intention de vérifier tout ce qui sortira de sa bouche lorsque celui-ci fera référence à Jésus, aux apôtres, à la Bible, etc. Lorsqu’une personne se rend à une conférence universitaire pour écouter le discours d’un scientifique, il n’y va pas dans l’intention de vérifier l’authenticité de tout ce qu’il entendra.
Ainsi, un certain lien de confiance est indispensable entre l’émetteur du message et le destinataire. En tout cas jusqu’à ce que l’autorité fasse mention d’une phrase ou d’une référence qui paraitra étrange ou inattendue pour ses auditeurs. Et c’est à ce moment-là qu’ils pourraient plus facilement activer un processus de pensée qui les conduira à faire leurs propres recherches : “Tiens, je n’avais jamais entendu cela“ ; “Cela ne m’a pas convaincu“ ; “Je vais vérifier à la bibliothèque et/ou sur internet. “ »
Donc pour résumer, votre interlocuteur a un message spécifique à vous communiquer. Ne disposant pas forcément des connaissances scientifiques pouvant convaincre son auditoire, il utilisera l’outil « le Prophète-a-dit ».
Je me souviens qu’à une certaine époque, certains rares imams/prédicateurs amateurs s’en contentaient sans rien ajouter de plus. Surtout lorsqu’ils avaient pour habitude d’user du code vestimentaire traditionnel comme figure d’autorité (voile saoudien sur la tête, bonnet blanc, djellaba, etc.).
Le nombre de croyants plus sceptiques, méfiants (à juste titre) s’agrandissant de jour en jour, les 3 phrases clés suivant « le Prophète-a-dit » sont devenues systématique chez toute personne désirant convaincre du bien-fondé de leur injonction/recommandation :
- Selon/rapporté par X [NOM D’UNE PERSONNE FAISANT OFFICE DU DERNIER TEMOIN ISSU D’UNE LONGUE LISTE DE TRANSMETTEURS DE LA PAROLE (ATTRIBUEE AU PROPHETE) NON CITEE INTEGRALEMENT (DANS UNE LOCUTION VERBALE)].
- Et rapporté dans Y [NOM D’OUVRAGE RELATANT LE TEXTE, LA SOURCE, FAISANT FIGURE D’AUTORITÉ, ET POUR LA PLUPART DU TEMPS « SACRALISÉ »].
- Authentifié par Z [NOM D’UN THÉOLOGIEN CONTEMPORAIN (AYANT LE TITRE DE « SAVANT ») AFFIRMANT LA VERACITE DE LA PAROLE ATTRIBUEE AU PROPHETE PAR UNE METHODE DE RECHERCHE]



Mais devant une telle efficacité de persuasion, cet outil a fini par être victime de son abus d’utilisation. Et pour cause, nous nous sommes vite retrouvés avec des « le Prophète-a-dit » pour tout et pour rien. Etre gentil avec ses voisins ? Le Prophète a dit… Parler sereinement ? Le Prophète a dit… Souriez ? Le Prophète a dit… Soyez humain ? Le Prophète a dit… (Bon on n’en est pas encore arrivé là, mais ça ne saurait tarder).
Il n’est dès lors pas étonnant que dès qu’un conférencier n’use pas de cet outil, il est très vite remarqué. Cela sonne comme une anomalie, quelque chose qui sonne faux par son étrangeté. Ainsi la question ne tarde pas à tomber : « Et où est la sunna dans ce que vous dites ? ».
Là où réside la subtile manipulation: toucher votre culpabilité
– Il n’y a rien d’anormal à citer des références religieuses pour faire des liens sur des sujets que l’on estime importants. Les chrétiens ne citent-ils pas Jésus et la Bible ? Les bouddhistes ne citent-ils pas Siddhartha Gautama ?
Effectivement. Excepté que l’utilisation systématique de ce moyen d’autorité ne sert pas uniquement à faire des liens entre un sujet et une religion, mais de jouer sur la fibre culpabilisante suivante : « Maintenant vous savez ce qu’a dit /fait le Prophète. Comment justifieriez-vous, VOUS MUSULMAN, que vous refusez de suivre (dans les paroles et les actes) l’élu de Dieu ? » Ajoutez à ça l’utilisation psychologique du faux choix « Dieu est témoin que j’ai transmis la parole du Prophète. Vous êtes libre de faire ce que vous voulez ». Avec le présupposé silencieux très familier aux manipulations des prêcheurs moralisateurs : « Seul un hypocrite aux yeux de Dieu pourrait refuser sciemment de suivre les recommandations du Prophète. »
Nous pourrions entendre des évangélistes crier « Aimez-vous les uns les autres PARCE QUE Jésus vous l’a demandé»[Je laisse la possibilité que dans un élan de zèle et d’envie de convaincre, ils peuvent également usé de ce principe d’autorité] Néanmoins, nous entendrons bien plus souvent « Aimez-vous les uns les autres COMME vous l’a demandé Jésus » ou « (…) COMME il vous a aimés ». Une nuance très importante!
Demander les sources et les références religieuses ne sont-ils pas une saine démarche?
– Supposons qu’il y ait une utilisation abusive des « paroles du Prophète ». Cela ne remet pas en cause le fait que les 3 phrases-clés dont tu parles prouvent qu’elles ne sont pas inventées ! Que fais-tu de la science des hadiths (1)? Et puis tu as cité en exemple le type de remarque d’une certaine catégorie de musulmans conditionnés par ce que tu appelles les « Prophète-a-dit ». Tu as omis que s’ils demandent « où est la sunna » dans les propos de leurs interlocuteurs, ils demandent aussi « où est le [passage du] Coran [dans le(s)quel(s) ils basent leur argument] » (2). Encore heureux qu’ils le fassent ! Tu leur reproches de demander les sources religieuses (3)? Tu reprocherais à des étudiants de vérifier d’où leur enseignant tire ses informations ?
Je vais commencer par la dernière question (3) afin de dissiper tout risque de malentendu. D’une part, il s’agit ici de décoder la stratégie derrière l’utilisation systématique de la sunna par des prêcheurs afin de jouer sur le levier psychologique de la culpabilité. D’autre part, il est à rappeler que c’est son utilisation excessive qui a donné la conséquence perverse qui consiste à chercher systématiquement dans tout discours, un « Prophète-a-dit ». S’il est tout à fait logique, voire encourageant, qu’un étudiant demande à son enseignant où se trouve la source d’où il tire ses informations, cela sera tout à fait inadapté s’il lui demande le passage biblique qui justifierait le fait d’ arriver à l’heure à son cours.
Pour la remarque sur la demande des passages du Coran (2), il faut être conscient que le sens du texte coranique repose sur tellement de facteurs (contexte, sens de la lecture, interprétation, grilles de lectures politiques apolitiques des traducteurs, etc.) que la plupart du temps, un filtre, une alerte inconsciente se traduisant par une hésitation, empêchera de faire une connexion directe entre une recommandation/injonction et une action pragmatique. Cela aussi en partie parce que de nombreuses sourates donnent des descriptions larges et/ou métaphoriques sujettes à la réflexion.
Par contre, un « Prophète-a-dit » et « Prophète-a-fait » est en général concret et appelle à une réponse sous forme d’action (obéissance se basant sur la similarité la plus proche entre la recommandation/injonction et l’action du Prophète). Ajoutez à cela que l’anachronisme est loin d’être considéré comme problématique dans le rapport au texte (Coran et Sunna) dans la lecture musulmane dominante !
La remarque sur la science des hadiths (1) va nous permettre de conclure ce chapitre de notre rapport au texte.
Mais avant, il sera utile de faire une petite digression qui a son importance :
La référence à un être humain est toujours plus « concret »?
Si les Paroles de Dieu peuvent toujours être sujettes à la réflexion et à la méditation (voir CLR2: faut-il tuer la pensée magique), partant du postulat que l’être humain vit son expérience humaine dans un avatar d’homme/femme dans un monde matériel, il ne peut estimer percevoir l’étendue de la Parole de Dieu sans en diminuer sa portée divine. (Voir CLR1: le rapport au réel)
Une fois que le croyant a conscientisé cela, il ne lui sera plus possible de suivre l’exégète personnelle d’un théologien du XIIeme siècle sans prendre du recul, le temps de la réflexion. (Il restera toujours le principe de la « sacralisation » des exégètes liés directement ou indirectement aux interprétations coraniques qui pourrait faire obstacle à cette prise de recul, mais nous en parlerons dans un autre article).
Par contre, lorsqu’il s’agit d’une parole d’un prophète, les choses sont moins simples. Le prophète étant un homme, l’intermédiaire entre Dieu et les êtres humains, remettre en question ce qu’on rapporte de lui sera automatiquement synonyme de tentative de falsification, de trahison.
Exemple : imaginons qu’ un prophète (aussi important que l’est Muhammad pour les musulmans) dise que l’on peut frapper sa femme ou que l’on rapporte une description d’un comportement dans lequel il brise un instrument de musique après l’avoir interdit.
Nous serons bien d’accord que cela va difficilement être interprété comme une « métaphore ». Cela sonnera directement comme quelque chose de terre à terre, de concret. Même s’il y aura toujours des modernistes pour tenter des contorsions frôlant parfois le tour de passe-passe pour donner une interprétation assez abstraite ou édulcorée, elle sera toujours moins crédible aux yeux des croyants que la première (interprétation de l’acte ou de la parole du Prophète).
Dans ce cas, lorsqu’un prêcheur rapporte une parole du prophète ou un de ses actes, que la source est bien présente et authentifiée dans des recueils importants, parfois sacralisés dans le monde musulman (dominant), que-fait-on ?
Loi des hommes ou loi de Dieu?
Si vous êtes persuadé qu’il s’agit bel et bien de la parole du prophète, que voulez-vous faire ? Convaincre des croyants qui prennent un personnage historique pour prophète de Dieu de ne pas le suivre dans ses paroles et ses actes ? Cela n’aurait aucun sens. Autant demander aux évangélistes de ne pas suivre les paroles de Jésus, aux Bouddhistes de ne pas suivre les recommandations de Bouddha, etc. tout ça parce que « leurs paroles » ne conviendraient pas à la vie « en société ». Cette distorsion de niveau logique entre la croyance (Dieu et ses prophètes) et le comportement (action jugée inadaptée par la loi en vigueur dans la société) est assez récurrente et problématique.
Si une personne croit en un Dieu qui se manifeste dans le monde des hommes, il le croit, ipso facto, supérieur à toute loi régie par ses créatures. Dans le paradigme d’un croyant, Dieu a créé l’univers et tout ce qu’il contient, notamment les hommes qui finiront pas légiférer leur coexistence dans des sociétés plurielles. Il y a donc une cohérence et un ordre de grandeur.
Donc, les croyants désirant vivre parmi leurs semblables dans la société qui leur convient vont faire en sorte de s’adapter à la législation de la cité tout en respectant, dans la mesure du possible, les Lois de leur Dieu.



C’est pourquoi, ils naîtront, ad vitam æternam, dans ce groupe de croyants des personnes qui refuseront « l’adaptabilité » car elles le verront comme une inversion des priorités (loi sociétale supérieure aux lois « divines »). Leur logique simpliste (cnfr « simplification de la complexité ») sera toujours plus facilement assimilable car elles partiront du postulat que les autres essaient de réduire le champ d’application des lois de Dieu pour ne pas être victimes de leur gouvernement. Les valeurs bafouées seront le courage, l’honneur, l’authenticité, la loyauté, etc. Des valeurs puissantes qui feraient douter plus d’un croyant. Surtout lorsqu’ils baignent dans une période où le sentiment de persécution est systématiquement encouragé et appuyé par tout une série d’acteurs (politiciens, médias, acteurs associatifs, site internet « complotistes », etc.)



Faire le déni de cette logique des priorités chez une partie importante des croyants est courant chez certains politiciens et démagogues qui ne cessent d’être dans la revendication, ou au contraire, dans la vindicte, plutôt que dans la solution. Leur discours n’est que perte de temps et d’énergie…
Peut-être ne comprennent-ils pas le rapport des croyants à Dieu (et comment ils se Le représentent) ? Tout en sachant que celui-ci diffère du type de croyance(religion), du niveau de sensibilité de l’individu et de sa relation personnelle avec Dieu.



Maintenant, la question de NARJISSE est primordiale pour tous ceux qui souhaitent être sincères dans leurs convictions (quelle qu’elle soit d’ailleurs) : « Est-ce que le Prophète a vraiment dit ça ? »
Narjisse vs la science des hadiths
Parmi les « sciences » du monde islamique, il existe ce que l’on appelle les sciences des hadiths. Une étude rigoureuse et complexe des liens et chaînes de transmissions des paroles et actes attribués au prophète. La taxinomie qui est appliquée est impressionnante de par sa méthodologie minutieuse dans tous ce qui connecte la tradition du prophète avec tous ceux qui l’ont rapporté directement ou indirectement. Vous aurez donc des catégories de hadiths selon le nombre de chaine de transmissions, la fiabilité des rapporteurs (avec des témoignages sur leur potentiel de piété et de sincérité), l’identification de ceux qui terminent la chaine de transmission ou qui la débutent, etc.
Ce travail d’orfèvre qui, contrairement au dénigrement de certains militants « coranistes », n’a pas à être sous-estimé. Son apport nous permet d’avoir une idée des différentes visions et des paradigmes des oulémas qui ont participé au recueil des hadiths, et qui de surcroît, les ont interprétés selon leurs grilles de lecture idéologiques.
Néanmoins, revenons sur la portée d’un immense travail d’enquête sur les hadiths et la véracité de ceux-ci.
Il y a deux questions à se poser :
Est-ce que ces paroles ont été réellement « prononcées » ? Si oui, l’ont-elles été par le Prophète lui-même ?
La science des hadiths contient une division des hadiths dans laquelle nous pouvons retrouver ce que les oulémas appellent : « hadith moutawatir ». Il s’agit d’un « Prophète-a-dit » cité par un nombre si conséquent de personnes différentes que, selon les oulémas, la raison ne pourrait le remettre en question. Bref, tout hadith faisant partie de ce registre est catégoriquement attribué au Prophète (dans ce cas précis, la « raison » est cité comme argument même par les plus littéralistes de la tradition musulmane.).
Et c’est précisément là que le problème va se poser…
PARTIE 2 : LE PROPHÈTE AURAIT DIT ?
Imaginons que A communique avec B. B rapporte ce qu’il a entendu à C. C va vérifier les dires de A. 3 scénarii sont possibles:
Scénario 1
C : B m’a dit que tu lui avais dit que « blablabla ». Est-ce vrai ?
A : Oui, exactement. Cela te surprend ? Tu n’étais pas là lorsque le contexte m’a conduit à affirmer cette chose. Je vais donc te réexpliquer afin que tu saisisses le sens de mes propos. Maintenant, il est évident que je formulerai les choses autrement.
Scénario 2
C : B m’a dit que tu lui avais dit que « blablabla ». Est-ce vrai ?
A : Oui et non. En fait, la manière dont la phrase est formulée n’est pas réellement ce que j’ai dit. B a dû ajouter sa propre compréhension dans mon propos, ce qui le dénature un peu. Je vais donc devoir te réexpliquer ce que j’ai dit en y ajoutant quelques éléments qui pourraient te manquer.
Scénario 3
A : Ah bon ? Il est sûr de m’avoir entendu dire cela ? Il y avait beaucoup de monde, peut-être m’a-t-il mal compris. Nous étions dans une période assez difficile, je mettrai ça sur le compte de la pression, la fatigue ou…un souci d’audition.
Nous pourrions ajouter plusieurs autres scénarii qui iraient dans le même sens. La base d’une communication est de pouvoir intégrer un feedback. C’est-à-dire de pouvoir écouter la reformulation de notre auditeur afin de vérifier qu’il nous ait bien compris.






Nous avons tous dû vivre une situation similaire.
Et c’est normal, comme nous l’avions expliqué précédemment, notre message passe par toute une série de filtres.



Mais ce n’est pas tout ! Nous faisons des omissions volontaires lorsque nous communiquons. Cela nous permet d’éviter de faire des phrases interminables.
Nos filtres méta-lingustiques: les biais qui génèrent les rumeurs
Notre cerveau a tendance à compléter les omissions par des connexions (pouvant parfois paraître étranges) en faisant des inférences de manière inconsciente. C’est-à-dire qu’il va combler les trous par des éléments, des informations qu’il connaît déjà.
Vous pouvez dire à quelqu’un qu’hier il faisait chaud dehors. Celui-ci pourrait comprendre par-là que vous étiez à l’extérieur. Alors que vous avez juste vu la météo à la télévision enfermé dans votre chambre. Et là, si je ne précise pas, vous pourriez penser que ce soit chez moi, et non pas dans une chambre…d’hôtel.



Nous faisons aussi constamment des généralisations (ex : “ Il pleut toujours en Belgique ! “Les Blancs sont racistes“, “ les Noirs sont pauvres“, etc.) mais également des distorsions de liens de cause à effet (ex : “ Des jeunes sont partis faire le djihad en Syrie car ils étaient discriminés en Europe“)






* A fait référence à des Français de toutes origines qui ont eu un comportement injurieux pour des raisons qu’il n’explique pas dans sa conversation.
** B fait référence à des Français dit « de souche » en faisant une généralisation ET un lien de cause à effet entre les Français (quelle que soit leur origine) injurieux et certains racistes (qui n’étaient peut-être pas tous de « souche », mais cela, son interlocuteur ne l’a pas précisé).
Bref, c’est ainsi que B peut très bien avoir écouté A et l’avoir compris. Rien ne nous garantit qu’il le rapportera à C sans ces trois filtres (omissions, généralisations, distorsions).
Mais heureusement, C a la capacité de vérifier auprès de A !
Alors qu’avec les traditions du Prophète, cela est malheureusement impossible.
L’algorithme biaisé des chaines de transmissions des paroles attribuées au Prophète
Imaginons que « ➡️» représente les interactions qui vont d’un pts à un autre . A➡️B,C,D➡️E,F,C = A envoie un message à B, C et D. Ceux-ci rapportent le message à E,F,C.
Voilà ce que ça donnera :
A➡️B,C,D,E (contemporain à A)➡️ F,G,H,I,…➡️ J,K,L,M…➡️ (X années pendant lesquelles les paroles de A n’ont pas été retranscrites dans un livre)➡️ M,N,O,P,…➡️….
À partir de « J» il devient déjà plus compliqué d’avoir le feedback de « A ».
Nous pourrions également schématiser le processus de cette manière.
Prophète (A)➡️ Auditeur(s) (B,C,D,E,…)➡️Rapporteurs➡️ (B ,C,D,E…)➡️ Rapporteurs 2 (F,G,H,I,…) ➡️ (…)➡️Transcripteurs➡️ Recueils et filtrages (selon la méthodologie)➡️ Editions (forte possibilité de censure selon la politique en vigueur) ➡️ Réédition (forte possibilité de filtrage et/ou censure selon l’idéologie de la « maison d’édition »)➡️(…)➡️ Lecteurs 1(figure d’autorité religieuse)➡️Auditeurs/lecteurs 2(croyants lambda).
Tout en conscientisant que durant les dynasties omeyyades, abbassides et jusqu’aux invasions Tatars le nombre d’ouvrages et de recueils théologiques perdues (autodafés) est impossible à chiffrer.
Vous comprendrez ainsi que malgré toute la rigueur méthodologique des sciences des hadiths, il sera toujours impossible d’affirmer qu’une parole rapportée est bien celle du Prophète (avec le sens et l’entièreté du message originel) !
Contrairement à la théorie coraniste qui rejette tout hadith, nous ne pouvons pas non plus affirmer qu’ils soient tous faux. En fait, nous ne pouvons rien affirmer si ce n’est que nous avons des textes qu’il faudra toujours prendre avec des « pincettes » et un maximum de recul. Il y a des textes qui libèrent (que tout individu pourrait imaginer qu’ils viennent d’un homme extra lucide et pour les croyants, un homme proche de Dieu…donc pourquoi pas ?) et d’autres qui emprisonnent (ils sont en général utilisés par les terroristes, rigoristes et ceux qui se disent ou sont traités d’ « islamophobes »).
Comme l’aurait dit Narjisse, nous ne devrions pas dire que le Prophète a dit mais le Prophète aurait dit !
Les savants ne veulent pas du conditionnel!
Mais cet ajout du conditionnel dans « Le Prophète aurait-dit » fait obstacle à toute obéissance et persuasion immédiate des fidèles croyants vis-à-vis de leur maître.
Vérifiez vous-même, lorsque vous appuierez un conseil en ajoutant « le Prophète aurait dit (…) », la formulation permet de prendre le recul avec cette activation du dialogue interne : « Il l’a peut-être dit mais personne n’est sûr que ce soit réellement le cas ». La manipulation devient plus compliquée pour nos gourous.
Et même le fameux « les compagnons ont entendu (le Prophète) et ont obéi [sans discuter] » ne fonctionnera plus comme facteur de culpabilité et de suggestion : « Ah les [saints] compagnons obéissaient direct aux paroles du Prophète et nous on se pose encore des questions ?! ».
Car dites-moi, parmi les oulémas et autres « savants » de l’Islam qui jurent sur l’authenticité des paroles (et le sens qu’elles lui sont données par ces même figures d’autorités). Qui a réellement entendu le Prophète ? Qui a fait un feedback ?
Et c’est là que vous comprendrez la raison de la sacralisation de personnages faisant office de rapporteurs et auditeurs des paroles du Prophète. Car ne pouvant s’accrocher à une corde solide, il sera indispensable de sublimer des êtres humains afin de pallier à l’impossibilité d’affirmer que le Prophète a bien dit ceci et cela. (Nous y reviendrons dans les outils qui radicalisent la pensée)
Et comme le Prophète aurait dit : « Laisse ce qui provoque en toi le doute, pour ce qui ne suscite en toi aucun doute ».
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